Depuis plus de 20 ans, Rachid Benzine et le p. Christian Delorme sont acteurs du dialogue islamo-chrétien. Invités de Thierry Lyonnet, ils livrent leur analyse sur l'islam en France.

L'islam est-il violent? Islam et laïcité peuvent-ils coexister? Pourquoi tant de problèmes avec certains jeunes issus de l'immigration? Qu'il s'agisse du port du voile à l'université, des attentats en France et en Belgique, de l'engagement de jeunes français dans les troupes de Daech ou de la compatiblité ou non avec la République, jamais l'islam n'a fait autant l'objet de débats passionnés. Débats qui, pour Rachid Benzine et Christian Delorme, ne prennent pas suffisamment en compte "la complexité de l'histoire et le pluralisme des réalités".

Rachid Benzine est islamologue et enseignant, il travaille sur une approche historico-critique du Coran ; Christian Delorme est prêtre catholique de l'Eglise de Lyon, il est notamment l'initiateur de la "Marche pour l'égalité et contre le racisme", en 1983. L'un et l'autre avaient publié en 1997, "Chrétiens et musulmans. Nous avons tant de choses à nous dire" (éd. Albin Michel). Près de 20 ans après, ils publient un éclairage précieux: "La République, l'Eglise et l'islam - Une révolution française" (éd. Bayard).

2015: comment comprendre ce qui est arrivé en France et en Europe? "En 2015, une étape a été franchie, mais elle a été préparée par d'autres étapes que nous avons connues", pour Rachid Benzine. On n'a pas mesuré tous les ressorts de l'affaire Merah en 2012, que l'on a presque traitée comme un fait divers. Or, on était déjà dans "la construction d'une idéologie fanatique de résistance à l'Occident", explique le p. Christian Delorme. Les deux spécialistes de l'islam et du dialogue islamo-chrétien s'accordent pour dire que, sans nier l'existence de jeunes radicalisés, l'immense majorité des jeunes musulmans ne se retrouvent pas dans ces discours, "et ce sont eux qui nous protègeront", souligne le prêtre.

Qu'est-ce qui fait que des générations de jeunes ne se sent pas français? Rachid Benzine insiste sur le manque de reconnaissance dont souffrent les personnes issues de l'immigrations, même s'ils sont en France depuis deux ou trois générations: "On ne les a pas assez intégrées dans le récit national." Ils sont d'ailleurs beaucoup à partir travailler en Grande-Bretagne, où, là, on les considère comme Français! Estime de soi, estime des autres, estime des institutions: il y a un vrai travail à faire.

Mais il y a aussi, propre à la France, ce traumatisme de la guerre Algérie qui reste tenace. On devrait pouvoir faire mémoire et oublier, aussi bien en France qu'en Algérie, analyse Rachid Benzine, qui mesure cependant combien ce travail serait difficile. Poids du passé, héritage trop lourd à porter. D'un côté, il faudrait "sortir de cette culpabilité post coloniale", encourage l'islamologue, mais de l'autre il faudrait éviter cette "attitude de victime permanente" de la part des pays arabes.

Indépendaces non abouties, maladresses occidentales dans les relations avec les anciennes colonies, échec des nationalismes, avènement d'un islam politique et d'une wahhabisation de l'islam auquel il faut ajouter 30 ans de guerre en Afghanistan, deux guerres en Irak et une situation catastrophique en Syrie. Et aujourd'hui, un monde musulman qui se trouve "en voie d'implosion", traversé par différents courants qui se font une guerre d'interprétations qui nécessiterait un réel travail critique. Il y a le wahhabisme, les frères musulmans, l'islam traditionnel, Daech. Cette dernière est une organisation théologico-politique qui puise son idéologie dans les traditions musulmanes: à ce titre, elle doit absolument "être prise en compte", insiste Rachid Benzine.

Pour le p. Christian Delorme, "il faut aider les uns et les autres à réaliser que toutes les grandes religions qui ont prétention à l'universel, comme l'islam ou le christianisme, peuvent être porteuses de violences comme de paix". Il précise que jusque dans les années 70 "l'islam paraissait extrêmement pacifiste". Aujourd'hui on assiste, selon Rachid Benzine, à un phénomène de "puissance idéologique du religieux" à l'échelle mondiale.

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