Le 16 mars 2009 - Conférence d'Olivier Le Cour Grandmaison

Résumé

Après avoir rappelé que les soutiens apportés à la construction de l’empire étaient, à la fin du 19ème siècle, fort nombreux puisqu’on y trouve la majorité du personnel politique de l’époque, des écrivains célèbres tels Maupassant, Victor Hugo et Pierre Loti, notamment mais aussi des universitaires connus venus de toutes les disciplines, Olivier Le Cour Grandmaison revient sur la loi du 23 février 2005 qui sanctionne une interprétation positive du passé colonial de la France. Précisons que seul l’article 4 de ce texte législatif a été abrogé. Demeure donc l'article 1er conçu pour que « La Nation exprime sa reconnaissance aux femmes et aux hommes pour l'œuvre qu'ils ont accomplie dans les anciens départements français d'Algérie, en Tunisie, au Maroc, en Indochine et dans les territoires placés antérieurement sous la souveraineté française". Ajoutons enfin que la France est le seul Etat démocratique et la seule ancienne puissance impériale européenne à avoir adopté une loi qui établit une interprétation officielle de l’histoire coloniale. Remarquable mais sinistre exception française. A cela s’ajoutent les discours de Nicolas Sarkozy prononcés à Toulon (février 2007) et à Dakar (juillet 2007) qui prouvent que le passé colonial du pays est désormais réhabilité au plus niveau et comme jamais depuis la fin de l’Algérie en 1962.

 

La République impériale

La conquête de l'Algérie a joué un rôle essentiel dans la construction de l'empire :

  • en 1840, il s'agit d'enrayer une décadence coloniale attribuée, par beaucoup, à la Révolution française et d'expérimenter des méthodes de guerre et des techniques répressives telles que l'internement administratif.
  • dès 1848, l'Algérie est conçue comme une colonie de peuplement destinée à accueillir des citoyens pauvres et/ou dangereux de la métropole afin d'exploiter les ressources du territoire.

Le Code de l'indigénat, adopté par la IIIème République en juin 1881, crée des dispositions juridiques d'exception qui ont été ensuite étendues à tous les territoires conquis. C'est seulement en 1945 que ces différents Codes ont été abolis en Algérie et dans les autres possessions françaises. La politique coloniale de la IIIème République illustre ce qu'il arrive lorsque les dirigeants, Jules Ferry le premier, se mettent en tête de faire de la France la 2ème puissance coloniale, derrière la Grande Bretagne qui exerce simultanément fascination et craintes.

En 30 ans, la République instaure, dans les possessions passées sous souveraineté, un régime autoritaire qui repose non la liberté et l'égalité mais sur l'inégalité des races. En Algérie, la condition du sujet indigène n'est pas celle du citoyen français. Bien qu'il soit soumis à la souveraineté nationale, le premier est un assujetti en fait privé du droit de vote, de la liberté de manifestation et d'organisation et soumis, qui plus est, à des dispositions racistes et discriminatoires qui ne pèsent que sur lui. Exemples : la responsabilité collective (en cas d'incendie de forêt, le douar où le coupable présumé est censé vivre est sanctionné), l’internement administratif et le séquestre.

L'un des effets spectaculaires de la colonisation est "l'impérialisation" des institutions de la Troisième République et de plusieurs grandes écoles comme l'Ecole polytechnique, l'Ecole libre des sciences politiques et l'Ecole coloniale qui ont pour mission de former les élites politiques et administratives nécessaires à la gestion des territoires colonisés. Le phénomène "d'impérialisation de la IIIème République" touche tous les niveaux de l'enseignement, primaire compris, et même la littérature puisqu’on on assiste à l’émergence rapide d’une littérature coloniale profuse et populaire : dans l’écrasante majorité des cas, ses auteurs font l'apologie de la colonisation même si certains d’entre eux critiquent les violences extrêmes, le travail forcé et les corvées pratiqués jusqu'en 1946.

Le racisme d'Etat

Le racisme d'Etat repose sur la hiérarchisation de l'humanité avec, au sommet l'Homme blanc dominant le Noir, figure du sauvage réputé sans passé, sans Histoire, sans religion et sans culture et l'Arabe, incarnation du barbare que la culture, la religion et la civilisation rendent "inassimilable" ! Le racisme du droit colonial repose, à l’époque, sur une pensée scientifiquement fondée: seuls les peuples les plus avancés peuvent jouir des bienfaits d'une organisation démocratique et républicaine tandis que les peuples inférieurs ne sauraient bénéficier des mêmes institutions. Cette conviction "justifie" des dispositions d'exception votées en métropole ou décidées par les gouverneurs locaux. Il s'agit de conceptions racistes assumées pleinement par les institutions politiques et leurs fonctionnaires.

Alors qu'en reconnaissance de leur participation à la guerre de 14-18, la liberté de circulation a été octroyée aux indigènes algériens, celle-ci est supprimée en 1924, le nombre des "indigènes inassimilables" étant jugé trop important et constituant "un danger pour la métropole": les indigènes algériens – des "colonisés immigrés venant de 3 départements français" – sont obligés, pour entrer en métropole, de produire un contrat de travail, de passer une visite médicale et de justifier d’un pécule nécessaire à leur rapatriement (cette dernière mesure est toujours applicable aux étrangers non ressortissants de l'Union européenne !). Poussés par la misère, les indigènes arrivent alors clandestinement en payant des passeurs et en voyageant dans des conditions qui peuvent mettre leur existence en péril. La question de l'immigration des Nord-Africains "inassimilables" se retrouve après 1945: ce n'est plus le concept de race qui est mis en avant mais celui d'ethnie, avec comme critère essentiel l'Islam conçu, ce n’est pas nouveau, comme une religion de guerre, opposée à la science, aux techniques, aux progrès et à l'émancipation féminine. Des personnalités très importantes, spécialistes de l'immigration, Alfred Sauvy (président de l'Institut national d'études démographiques), Louis Chevalier (professeur au Collège de France) et Robert Debré (pédiatre de renom) vont brandir le spectre d'une invasion de la métropole par ses colonisés. Louis Chevalier écrit que "l'Islam est une manière d'être, un tempérament qui crée, par derrière les apparences secondaires d'une européanisation, un profond refus de l'assimilation".

Sont distingués alors "l'étranger absolu" dont l’une des incarnations est « le Maghrébin » jugé inassimilable, et "l'étranger relatif" venu d'Europe, de culture chrétienne et donc assimilable. Ces auteurs militent pour le rétablissement de mesures restrictives pour l’entrée et le séjour des « colonisés-immigrés » en métropole : elles seront prises en 1954, après le début de la guerre d'indépendance. Ce racisme d'Etat a débouché sur des dispositions spécifiques applicables en métropole comme, en octobre 1961, le couvre-feu, décidé par le préfet de police de Paris, Maurice Papon, opposable aux seuls Français musulmans d’Algérie (c'est la nouvelle dénomination !) présents dans la capitale et en banlieue. On le sait, la répression des manifestations pacifiques appelées par le FLN a débouché sur un massacre qui a fait entre 150 et 300 victimes !

Ainsi ce racisme d'Etat a survécu à la succession des Républiques, de la IIIème à la Vème.

Le 4 juin 2009.

Notes de Pierre Lefèvre