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En 1958, comme beaucoup, j'ai participé à un « voyage organisé » de l'armée française en Algérie. J'avais 24 ans., j'ai passé un peu plus de 5 mois en Grande Kabylie, à une dizaine de kilomètres au sud de Tizi Ouzou, sur les contreforts du Djurdjura au milieu d'un village : "AGUEMOUN".
Photographe de formation, j'ai observé ces villageois qui vivaient dans des conditions presque moyenâgeuses, telles que déjà dénoncées par Albert Camus en 1939 dans une série de reportages pour "Alger républicain " intitulée "Misère de la Kabylie". Je les ai photographiés. De retour en France métropolitaine, je me suis engagé dans l'opposition à la guerre d'Algérie, travaillant pour l'Express, France-Observateur, Témoignage-Chrétien ...
En 1966, je quittais l'activité de photojournalisme pour de la photo très technique.

Enfin retraite et en 1999, une étudiante en histoire traitant de la manifestation des algériens du 17 octobre 1961 me déloge pour me faire ressortir mes archives.

Je n'avais pas oublié deux petites filles kabyles dont je ne connaissais que le prénom : Ouardia et Fazia ; Elles jouaient à coté de nos barbelés, nos armes, de la mitrailleuse menaçante.
Leurs sourires étaient pour moi d'immenses flaques de lumière.
Les souvenirs remontaient en moi. J'ai eu envie de retourner dans ce village, de voir comment vivaient ses habitants. Qu'étaient devenues Ouardia et Fazia ? Un lourd rideau masquait ce pays.
Il me fallait trouver un point de chute sur place, un accompagnateur kabyle. Il m'a fallu plusieurs années pour y parvenir. Mon projet paraissait débile. Autour de moi, régnait le scepticisme et chacun tentait de me dissuader de faire ce voyage en Kabylie en raison de risques encourus.
Comment imaginer qu'une guerre puisse apporter un rêve aussi fort et aussi fou que de retrouver deux petites filles après plus de cinquante ans ?
Qui d'autre qu'un fou peut croire que ce rêve va se réaliser ?
Qui peut croire que cette folie s'est réalisée ?

Pourtant, le 15 avril 2009, j'arrivais à Alger où m'attendaient Youcef Khorsi et l'immense sourire de sa femme Sihem qui m'ont hébergé à Freha et m'ont conduit à travers la Kabylie pendant une semaine. Grâce à eux, j'ai retrouvé Aguemoun, village de la commune de Beni Aïssi dans la Wilaya de Tizi Ouzou.
J'ai ainsi pu savoir que Ouardia et Fazia étaient cousines, elles s'appelaient BOUAKIZ. Mariées et grands-mères. L'une a 9 enfants, l'autre 8.
Deux jours plus tard, Ouardia était là, devant moi, regardant sa photo de 1958, L'inimaginable s'était produit, à la surprise de cette famille, et à la mienne aussi, devant mes images faites 51 ans auparavant.
Puis, le 19 avril, Fazia Driouche retrouvée, incrédule revoyait des images de son enfance.

Dans ces montagnes, j'ai reçu un accueil d'une gentillesse que je ne pouvais imaginer et, la veille de mon retour, nous étions rassemblés autour d'un couscous chez Youcef, me mettant à table entre mes « petites filles » de 1958 et leurs maris. Instants d'amitié et d'espoir.

Et Sihem m'a dit "Ton histoire, c'est une histoire comme on n'en voit que dans les films".

Amitié ininterrompue puisque des messages d'amitié me parviennent fréquemment avec cette phrase : quand reviens-tu ?

En juillet – août 2010, deux diaporamas ont été présentés à Ventenac en Minervois dans le cadre d'une exposition « Méditerranée, lieu d'échange et de confrontation ».

En octobre 2010, cette histoire d'amitié a formé l'épilogue du livre de Benjamin Stora et Tramor Quemeneur : « ALGERIE 1954-1962 » aux Editions des Arènes.

Fin septembre 2011, avec mon épouse, nous avons passé une semaine chez Ouardia dont le mari nous a fait découvrir de nombreux aspects de la Kabylie. Le mari de Fazia, quant à lui, m'a demandé de retrouver des traces de son père, prisonnier à Tizi Ouzou, transféré à Alger puis disparu.

Voir le site de Guy Aguiraud