L’historiographie de la guerre d’Algérie- puisqu’on peut aujourd’hui l’appeler par son nom- s’inscrit dans une histoire longue, celle de l’Algérie coloniale commencée en 1830. Cette histoire est évidemment celle d’une succession de violences, de conquêtes militaires et d’insurrections, d’abus et d’injustices, de terres expropriées, de mesures de discrimination vexatoires légalisées par le Code de l’indigénat, de pouvoir confisqué par les immigrés européens. Elle est aussi celle d’un incroyable aveuglement, d’une persistance dans l’égoisme et l’arrogance qui sont confondantes, puisque dès 1837, des hommes ont appelé l’attention des responsables civils et militaires et de l’opinion publique sur les dangers de l’utopie colonisatrice, ont proposé des réformes qui n’ont pas été appliquées ou qui ont été rapidement abandonnées ou annulées. L’histoire de ces réformistes a été longtemps escamotée. Elle est encore refoulée par la mémoire récente des violence de la guerre d’indépendance et de celles de l’OAS. C’est une injustice et une erreur à réparer.
Depuis deux ans, en France et en Algérie des manifestations ont marqué le bicentenaire de la naissance d’Ismaÿlk Urbain à Cayenne le 31 décembre 1812. La table ronde au Maghreb des livres du 17 février 2013, la journée à l’Institut du monde arabe le 13 avril sur le thème Réformistes et Libéraux dans l’Algérie coloniale, d’Ismaÿl Urbain à Albert Camus », ont montré l’existence et la permanence chez les Français d’Algérie « d’un contre-courant colonial » - j’emprunte cette formule à Gilbert Meynier, dans Repenser l’Algérie dans l’histoire. Elles ont aussi montré, ce qu’a confirmé le colloque « Ismaÿl Urbain, les saint-simoniens et le monde-arabo-musulman », qui s’est tenu à la Bibliothèque de l’Arsenal (BN) et à l’Institut du monde arabe les 24 et 25 octobre, qu’Ismaÿl Urbain, cet « homme de couleur » petit-fils d’une esclave africaine affranchie, né à Cayenne en 1812, mort et enterré à Alger en 1884, en a été le précurseur et parfois l’inspirateur de ces Libéraux.
Michel Levallois,
né en 1934 à Paris
Préfet de région honoraire et docteur en histoire, diplômé de l'INALCO.
Après une carrière préfectorale commencée en Algérie au cabinet du préfet d’Orléansville puis au cabinet du délégué général Jean Morin (1959-1962), poursuivie au Secrétariat général du gouvernement, et dans plusieurs postes de métropole et d’outre-mer, Nouvelle-Calédonie et La Réunion, il a présidé l'Institut de recherche pour le développement (anciennement ORSTOM) de 1989 à 1995.
Depuis sa retraite administrative en 1996, il s’est s'investit dans les recherches historiques sur les saint-simoniens, le second Empire et l’Algérie.
Il a publié « Ismaÿl Urbain, Une autre conquête de l'Algérie » (Maisonneuve & Larose, 2001), « Ismaÿl Urbain, Royaume arabe ou Algérie franco-musulmane? 1848-1870 » (Riveneuve, 2012) ainsi que les notes et introduction des rééditions de brochure d'Ismaÿl Urbain: « L'Algérie pour les Algériens » (Séguier-Atlantica, 2000) et « L'Algérie française, Indigènes et Immigrants » (Séguier-Atlantica, 2002). Il a participé à plusieurs ouvrages collectifs, notamment Abd-el-Kader un spirituel dans la modernité, Albouraq 2010, et la toute dernière Histoire de l’Algérie à la période coloniale, parue à La Découverte et Barzakh.
Président de la Société des études saint-simoniennes, membre de l'Association des amis de Max Marchand, de Mouloud Feraoun et de leurs compagnons, ainsi que de l'Académie des Sciences d'Outre-mer dont il préside la V° section.