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On voit des images de manifestations déjà vues en France, quand on s’intéresse un peu à l’Algérie. À ceux qui les   découvrent, elles parleront mais ils devront se garder de croire qu’elles montrent toute la réalité de ce qui s’y passe, pour   autant qu’on puisse la saisir en son entier, ce que je crois très difficile ou impossible, surtout en 70 mn. Les personnes   qu’on voit et entend représentent une élite intellectuelle et proche de nos valeurs, ils parlent un français bien maîtrisé. Les   Kabyles sont surreprésentés, ainsi que les Algérois. (Moi, l’Oranais, ça m’enrage un peu). Bon, ces hommes et ces femmes   ont du courage. Pour toutes ces raisons, ils touchent d’autant plus notre sensibilité mais ils ne représentent qu’une petite f.   fraction de la population algérienne. Cela ne veut pas dire qu’il faut les ignorer d’autant plus qu’ils expriment une   souffrance   

et des espérances très partagées dans le pays. Il m’importe peu que le réalisateur soit algérien (c’est le cas) ou français, mais il est dommage qu’il ait privilégié sa subjectivité et l’émotionnel au détriment d’une approche des aspects contradictoires de la situation. Ils auraient donné du relief au documentaire.
On sait déjà –si on suit, même un peu, les affaires algériennes- quelle est la difficile condition de la femme dans le pays, quelle est la difficile situation de l’emploi pour les jeunes, quelle sensation d’étouffement, de confinement les oppresse, quel est le degré de frustration et d’hypocrisie sexuelles régnant dans la société, combien est sensible la question kabyle et la question du respect des droits de l’homme. Mais on sait aussi que le Hirak est un mouvement non homogène politiquement, socialement, idéologiquement, religieusement, linguistiquement, identitairement… Son devenir est incertain, on ne voit pas assez ces contradictions. On ne voit pas les urgences de la question environnementale, de la question alimentaire.

On les voit un peu quand même (mais il faut être très attentif) : avec les doutes de l’avocat de Tizi face à ses deux amis militants et du jeune ingénieur d’Oran, avec les mots d’un jeune Oranais qui parle de ses concitoyens et se plaint qu’il n’arrive pas à se faire entendre d’eux (pourtant, il parle en a rabe). De son côté, l’ingénieur reconnaît que les Oranais sont passés du je-m’en-foutisme à une certaine prise de conscience mais il n’en a pas moins le désir de partir. On entend la psychiatre de Tizi exprimer un avis –courageux- contraire. On voit aussi combien l’irrédentisme du militant kabyle peut susciter de rejet dans un pays où la question de l’unité nationale est si aigüe. Est-ce le bon moment de la mettre en avant ? Plusieurs de ces personnes disent que si les Algériens pouvaient sortir du pays ils y reviendraient sûrement. Il y a sans doute du vrai là-dedans mais dans quelle mesure ?
Et parfois, les images disent certaines choses, à l’insu du réalisateur, quand on sort de leur champ central pour observer leur périphérie : la dégradation du vieil Oran, celle d’une ruelle de la Casbah, l’extension de l’urbanisme vue de Santa Cruz à Oran, ou d’une terrasse d’Alger, le soir…
Je crois que ce documentaire a été fait pour les Français. Tel qu’il est, il permet quand même de soulever bien des questions qui se posent en clair ou en creux. Du moins, en France et dans la diaspora algérienne, et dans le Forum France-Algérie… En Algérie, j’en doute ?

Mes questions vues de Sirius (Putain comme dirait Bedos, les Pieds-Noirs on peut pas s’empêcher de la ramener.) Comment penser et mettre en œuvre une synergie de salut national algérien par-dessus la mer ? Comment et avec quelles priorités traiter de façon systémiques les problèmes de l’Algérie ? L’histoire de l’Algérie et du mouvement national algérien nous apprend qu’au vingtième siècle les choses se sont présentées à la fois en France, dans le Nord, dans le milieu de l’immigration algérienne, et aussi dans l’Algérie profonde des campagnes. En France, au contact du mouvement ouvrier français, de ses valeurs et organisations, en Algérie avec les Oulémas, c’est-à-dire dans le milieu religieux et arabophone, proche des paysans, un pan du mouvement national qui a été longtemps ignoré ou méconnu, en France au moins. L’histoire se répèterait-elle ? Y-a-t-il des enseignements à tirer ? C’est sûr, c’est en Algérie, sur le terrain, que les choses se décideront in fine, ça ne peut pas être autrement.

Bernard