Pierre Daum déconstruit, dans son livre-enquête "Ni valise ni cercueil" (Solin, Actes Sud), les discours convenus sur l’exil forcé des pieds-noirs l Assiya Hamza est allée à leur rencontre et raconte ses histoires algériennes dans "Mémoires d'enracinés" (Michalon)
Les chiffres : 200 000 Européens ont décidé de ne choisir «ni valise ni cercueil», mais bien de rester en Algérie, leur pays, après son indépendance. Le journaliste Pierre Daum explose la thèse des nostalgiques de l’Algérie française. Depuis un demi-siècle, les seules voix audibles sont celles des rapatriés de 1962, très présentes dans les médias et au travers d’associations très actives. «Aucune étude approfondie n’avait jusqu’à présent été entreprise sur le sort des Européens et des juifs restés en Algérie après 1962. Le livre de Pierre Daum constitue dès lors une grande première. De façon érudite et passionnante, l’auteur remet en cause plusieurs idées reçues à propos du départ des Européens d’Algérie. D’abord, bien sûr, celle de “l’arrachement” en quelques semaines de l’ensemble des membres de cette communauté», note Benjamin Stora dans sa préface.
Mêlant travail d’archiviste et de journaliste, Pierre Daum est parti à la rencontre des Français restés en Algérie. Certains partirent quelques années après 1962, d’autres des décennies plus tard et quelques centaines y vivent encore. Il en a tiré des portraits saisissants. Dans celui consacré au peintre Denis Martinez, ce passage croustillant : à un «artiste» qui s’étonne qu’il soit Algérien et qu’il ait gardé son nom, celui-ci réplique : «Cher monsieur, sachez que je n’ai pas choisi d’être Algérien, je suis Algérien. Comme tout le monde. Je suis né en Algérie, de parents et d’arrière-grands-parents nés en Algérie. J’appartiens à une réalité historique du pays. Je m’appelle Martinez, je suis Algérien et je vous emmerde.» Tout se résume dans ces lignes.
"Ni valise ni cercueil Pierre Daum", (Solin, Actes Sud)
Assiya Hamza aborde sa rencontre avec les pieds-noirs restés en Algérie à travers sa quête d’identité. «Je suis française d’origine algérienne, et ma double identité, c’est ma richesse. Mais que ferais-je à l’heure du choix, si choix il devait y avoir ? Emettre une préférence reviendrait à renier mon histoire. Et aussi celle de la France. (...) Cette introspection m’a mené sur les traces des pieds-noirs qui ont choisi de rester en Algérie au lendemain de l’indépendance. Un million d’hommes et de femmes se sont arrachés à cette terre l’été 62, très peu ont refusé de partir.
J’ai voulu savoir pourquoi ils avaient, eux, renoncé à l’exil et résisté à l’exode. Qu’aurais-je fait à leur place ?» Beaucoup plus intimiste, son livre questionne, relève les émotions discrètes. Elle rencontre Eliette, une habitante de Kouba, qui «s’adresse à l’Algérie en disant «tu» ou encore le professeur Jean-Paul Grangaud, pédiatre à Beni Messous, qui parle de son amour à son pays avec des mots émouvants de simplicité.
"Mémoires d’enracinés", Assiya Hamza, Michalon.
D'après un article d'El-Watan, paru le 20 mars 2012.